L'origine du Monde

Cette exposition de Gabriel Foussard échappe aux catégories habituelles des recherches d’artistes, non en raison d’un souci déterminé de la singularité mais précisément par profusion de l’évidence même. Il ne s’agit pas ici d’identifier des formes ou de tisser un récit, il ne s’agit presque pas de “donner à voir” car ce que vous voyez ne s’offre guère comme spectacle. La peinture paraît procéder ici d’une construction à l’envers : il nous est offert un ensemble de traces, de fragments qui semblent provenir de la même trame. Des ciels, gris, noyés de nuages. Une pâte picturale travaillée dans l’étirement et le recouvrement pour offrir des dénivelés, des écarts, des ruptures suturées, des espacements. De sorte que les nuées1 se rassemblent, convergent, s’amassent, se dispersent, traversant en permanence l’espace de la toile. Une matière mobile, sujet et objet du processus. Un même ciel. Une même masse chargée d’énergie se déployant d’un seul tenant mais au-delà de la surface des toiles. L’idée que tout, finalement, se déverse simultanément de l’autre côté, comme un écoulement originaire irrépressible et permanent. Tandis que de côté ci où nous nous trouvons, nous les regardeurs, nous ne percevons que des fragments de cette totalité au travail. La trame affleure, ici ou là, variant les gris, dispersant les lumières, disséminant les empâtements. Notre perception globale nous convainc rapidement de la présence obsédante et discrète d’un réglage d’ensemble. Mais le programme n’est que suggéré. Car se combinent dans le travail de Gabriel Foussard les quatre motifs que Caillois identifiait dans le jeu : l’aléa (le hasard), l’agôn (l’affrontement), l’ilinx (le vertige) et mimicry (le simulacre)2. Tel est le programme au fond: un jeu réglé où la matière picturale, associée à la pierre, au métal, à l’image, agence une suite d’expériences qui se combinent pour créer un lieu. Ce lieu, Gabriel Foussard nous incite à le considérer comme un espace mental, temporel qui serait celui de l’expérience même de l’être-en-vie. Aussi nous trouvons-nous au plus près de “l’origine du monde”, selon le titre donné par l’artiste à son exposition. La réduction chromatique aux gris, la présence de la matière nue, le dessin en scintillations et écoulements : tout ici évoque un lieu des commencements, où les choses naissent et s’animent. Et nous le savons avec certitude depuis Rilke : “il est tant de beauté dans ce qui commence”3.

1. Le motif des ciels chargés de nuages possède une longue histoire, de l’âge baroque où il est une variante des Vanités (“Ces vaines images qui se forment en l’air de l’amas des nuages”, Pierre Le Moyne, 1665) à la modernité où il se confond avec la figure de l’Etranger, errant sans attaches, c’est-à-dire de l’artiste (cf. “L’Etranger” de Baudelaire, 1862, in Petits Poèmes en Prose). Un peintre contemporain comme Gerhard Richter semble l’assimiler à la peinture elle-même comme matière mobile, c’est à l’évidence une conception partagée par Gabriel Foussard. 2. Roger Caillois (1913-1978), Les jeux et les hommes, 1958. 3. Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète (23 décembre 1903), 1929.

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